Emmanuel Maffre-Baugé, le guerrier du vin, a rendu les armes |
L'ancien leader viticole est décédé hier après-midi à Montpellier à l'âge de 86 ans.
Montredon : la plaie de Maffre ne cessait de saigner. Quand il évoquait ces heures dramatiques de mars 1976, la passion le prenait : « C'est Poniatowski qui a donné l'ordre au préfet de faire avancer les CRS vers le pont. Je ne prétends pas que le ministre de l'Intérieur savait qu'il y aurait des morts, mais je crois qu'il ne pouvait plus accepter que les viticulteurs sèment le désordre. Après, tout le monde a été traumatisé ».
Après Montredon, Emmanuel Maffre-Baugé avait choisi un autre engagement : fini le syndicalisme viticole, le voici, en 1979, élu député européen sur la liste communiste. Ce choix en dérangeait certains mais l'homme assumait : « Je voulais servir autrement la viticulture. D'ailleurs, je n'ai jamais eu la carte du PC, j'étais simplement compagnon de route ».
Retiré du front syndical, Maffre a beaucoup écrit. Des livres de chair et de sang comme « Vendanges amères » publié alors que résonnaient encore les coups de feu de Montredon. Des livres comme « L'épée à deux tranchants » où, en contant l'histoire du moine franc, Benoit d'Aniane et de l'homme de guerre Guillaume d'Orange, on le voit cheminer entre les paradoxes de son existence. Fils de propriétaire terrien (l'exploitation paternelle était forte de 40 hectares et de 10 ouvriers), petit-fils d'un poète félibre, il entre dans le combat des Européennes à côté du leader communiste Georges Marchais ; élève des dominicains à l'abbaye-école de Sorèze, on le trouve, au printemps 1975, occupant la cathédrale Saint-Pierre de Montpellier.
A Bélarga où il avait autrefois son vignoble, Maffre faisait, ces dernières années, de courtes escales. Le jour de notre rencontre, il portait avec peine le poids des ans mais lorsqu'il évoqua la viticulture éternellement en crise, ses yeux s'éclairèrent, la voix monta, gronda, portée par ce timbre indéfinissable qui trahissait à la fois l'homme de culture et l'homme de terrain.
Revoilà le Maffre-Baugé des années de braises. Maffre qui s'engage aux côtés Jean-Baptiste Benet dans la Confédération générale des vignerons du Midi. Maffre qui prend la tête du premier comité d'action viticole de l'Hérault... Maffre homme des combats, homme des négociations aussi. Président de la chambre régionale d'agriculture et de la fédération nationale des vins de table, il fréquenta les hommes de pouvoir comme Edgar Faure, Couve de Murville et Jacques Chirac. A Paris, on savait quels leviers pouvait actionner le vigneron de Bélarga. Alors que De Gaulle tardait à limiter les importations de vins d'Algérie, Edgar Faure lança à Benet : « Pour décider le général, fais-moi une petite manifestation », puis se retournant vers Maffre : « surtout pas trop forte la manif ! ».
Homme de verbe et d'action, on se souvient de ses envolées à Montpellier depuis une tribune dominant le Peyrou noir de monde. On se souvient encore de lui aux portes de Sète. La ville était tenue par les CRS qu'encerclaient les troupes vigneronnes. La nuit tombe, la tension est extrême. Maffre s'avance vers un groupe qui vient de s'emparer d'un engin de terrassement pour s'attaquer au goudron de la nationale. Il apostrophe les vignerons, leur demande de cesser. Les plus hardis font face, répliquent. Maffre hausse le ton. La foule, un instant interloquée, fait front avec son leader.
Quelques années plus tard, il écrira ces lignes : « Ces hommes merveilleux de paix, un peu empruntés hors de leurs terres, serviables et très ouverts, se transforment en loups, parce qu'on refuse de les entendre, de les comprendre, et que le fric donne tout, et que l'on se fout de leurs dirigeants, que Bruxelles est une momie enveloppée de ses bandelettes d'ignorance, d'indifférence ». Maffre savait aussi calmer les loups et ce n'était pas la moindre des qualités de ce guerrier du vin.
Texte extrait de « 1907-2007, Un siècle rouge ardent », hors série du groupe Les Journaux du Midi.
Les obsèques d'Emmanuel Maffre-Baugé seront célébrées lundi à 10 h 15 à l'église de Bélarga (Hérault).
Jean-Pierre LACAN