Association Sorézienne

SOREZE : Les onze autres écoles militaires de Louis XVI

Ces douze collèges étaient : Sorèze (Tarn, Bénédictins), Brienne (Aube, Minimes), Tiron (Eure et Loir, Bénédictins), Rebais (Seine et Marne, Bénédictins), Beaumont en Auge (Calvados, Bénédictins), Pontlevoy (Loir et Cher, Bénédictins), Vendôme (Loir et Cher, Oratoriens), Effiat (Puy de Dôme, Oratoriens), Pont-à-Mousson (Meurthe et Moselle, Chanoines réguliers de Saint Sauveur), Tournon (Ardèche, Oratoriens), Auxerre (Yonne, Bénédictins) et La Flèche (Sarthe, Doctrinaires). Les archives de la Défense Nationale mentionnent également l'école de Dôle (Jura).

Que sont devenues les autres Écoles royales militaires ?

Le 28 mars 1775, Louis XVI crée douze Écoles royales militaires, destinées à être en quelque sorte des "classes préparatoires" à l'École militaire de Paris, qui constitue le degré supérieur et qui existe toujours dans les magnifiques bâtiments du Champ de Mars, survivant à tous les régimes. On connaît évidemment Sorèze, pas besoin ici de faire de dessin, Brienne, où Napoléon a été élève, on connaît La Flèche, devenue le Prytanée national, mais les autres ? Petite enquête à travers l'Hexagone...


Auxerre (Yonne)

Si l'école militaire est supprimée à la Révolution, elle devient un collège, puis siège d'une École centrale en 1796. En 1888, c'est le collège Paul-Bert, du nom du physicien, gouverneur en Indochine, ministre de l'Instruction publique, qui militait pour l'accession des filles à l'éducation. Moyennant quoi, en suivant son exemple, la section filles du collège devient en 1893 le premier lycée de filles de France, les garçons attendant 1936 pour avoir droit à leur lycée à eux, sous le nom de Jacques Amyot, évêque d'Auxerre et grande figure de la Renaissance (traducteur de Plutarque). En 1969, les deux établissements sont réunis sous le régime mixte et le nom d'Amyot. Les anciens bâtiments sont démolis en partie ou rénovés en 1981. L'École royale eut pour élèves le maréchal Davout (né d'Avout), vainqueur à Aboukir et Auerstaedt, participant déterminant à Eckmühl, Wagram, Eylau... et le philosophe utopiste Charles Fourier, qu'on peut considérer comme un prédécesseur du communisme.


Le Lycée Jacques Amyot d'Auxerre

Lycée Jacques Amyot


Beaumont-en-Auge (Calvados)

Supprimée et démolie à la Révolution. Il ne reste plus que l'église, devenue paroissiale.


Brienne (aujourd'hui Brienne-le-Château, Aube)

L'école qui a vu les brimades infligées au jeune Napoleone de Buonaparte, surnommé "la paille au nez" en raison de son accent corse quand il prononçait son prénom, a été supprimée en 1790. Napoléon a manifesté le désir de la voir renaître, en lui donnant un rôle privilégié, mais il n'a pas donné suite. L'école a été démolie à l'exception du bâtiment principal, c'est aujourd'hui un Musée Napoléon. Il est intéressant de constater, en observant le curriculum vitae de l'empereur, que l'enseignement dispensé dans les Écoles royales militaires laissait une large place à la culture et aux sciences, ce qui devait plaire à Lacordaire quand il a repris Sorèze et qu'il a voulu faire perdurer cet héritage (Religioni, Scientiis, Artibus, Armis). Napoléon avait une forte culture littéraire et scientifique, héritée de son passage à Brienne, on le constate avec l'expédition d'Égypte où il a emmené les grands savants de son temps aux côtés des soldats. On sent là la patte de Louis XVI, très attiré par les sciences, et on peut considérer que l'expédition autour du monde de La Pérouse, commanditée par le roi, s'inscrit dans la même démarche. Il est amusant d'apprendre que lorsqu'un appel à candidature a été lancé pour recruter des militaires accompagnant les savants de l'expédition, le jeune lieutenant Bonaparte a postulé. Sa candidature a été rejetée... parce qu'il était trop petit. Sa frustration peut expliquer sa haine des Bourbons, mais aussi sa volonté de lancer son expédition à lui, sur le même modèle : celle d'Égypte. On peut aussi se lancer dans la fiction en imaginant quel cours aurait suivi l'Histoire de France s'il avait suivi La Pérouse et péri avec lui près de l'archipel de Vanikoro...


Brienne, l'entrée du musée Napoléon

L'école de Brienne sur Wikipedia


Dole (Jura)

Je n'ai trouvé nulle part trace de l'École royale militaire de Dole, mais j'ai des pistes sérieuses pour l'identifier avec l'actuel et illustre collège de l'Arc, aujourd'hui établissement public : 1) On peut seulement savoir que l'école fut installée dans un Collège royal, or l'Arc répond à ce critère ; 2) Parmi ses anciens élèves, on compte un jeune officier qui a forcément suivi là-bas une formation militaire : Claude Rouget de l'Isle. Il fut ensuite élève de l'École royale du génie de Mézières, il a donc été élève d'une École royale militaire auparavant, et l'on ne connaît dans sa biographie que son passage au collège de l'Arc. CQFD. Le collège survit à la Révolution, il devient École centrale, redevient Collège royal, puis lycée, et redevient collège après dédoublement avec un nouveau lycée. Ses bâtiments (XVIe-XVIIe) sont classés monument historique. Anciens élèves : Rouget de l'Isle, le président Jules Grévy, l'écrivain Marcel Aymé.


Dole, la cour principale du collège de l'Arc

Le collège de l'Arc


Effiat (Puy-de-Dôme)

L'école a été supprimée à la Révolution, puis démolie à l'exception de sa chapelle. Elle était installée dans l'enceinte du très beau château, toujours debout. Elle compta parmi ses élèves le général Desaix (ci-devant de Beaufranchet d'Ayat de Boucherol-Desaix), vainqueur à Marengo, mort durant la bataille. Il s'était auparavant distingué lors de l'expédition d'Égypte, et s'était intéressé de très près à son aspect scientifique, ce qui confirme ce que je dis sur l'enseignement des Écoles royales militaires (voir à Brienne).


La Flèche (Sarthe)

De toutes les anciennes Écoles royales militaires, c'est la seule qui ait survécu à tous les régimes et perduré dans ses destinations initiales. En 1604, Henri IV confie aux Jésuites la création d'un collège qui porte son nom (Henri le Grand), destiné à "instruire la jeunesse et la rendre amoureuse des sciences, de l'honneur et de la vertu, pour être capable de servir au public". Ce sera, sous l'Ancien Régime, "l'une des plus célèbres écoles de l'Europe", dira son ancien élève René Descartes. En 1694, le ministre Choiseul en fait une école de Cadets, préparatoire à l'École militaire de Paris : La Flèche est donc la première des Écoles royales militaires, avant le décret de Louis XVI. Le collège est fermé en 1793, et remplacé par un atelier de cordonnerie pour les armées républicaines. En 1808, Napoléon y transfère le Prytanée de Saint-Cyr, et dès lors, la vocation militaire de l'école subsistera sans interruption, excepté en 1940 où elle s'installe à Valence et Briançon (comme Saint-Cyr à Sorèze).
Depuis 1982, le Prytanée est un lycée militaire, avec des classes secondaires (seconde à terminale) et des classes préparatoires aux grandes écoles militaires.
Comme Sorèze, le Prytanée célèbre deux fêtes, au début et à la fin de l'année scolaire : présentation du drapeau aux nouveaux (équivalent de Sainte-Cécile), fête de Trime (assez folklorique, équivalent de la Pentecôte).
Les bâtiments de La Flèche sont divisés en deux ensembles : quartier Henri IV et église Saint-Louis, monuments historiques classés (XVIIe siècle), quartier Galliéni (XIXe siècle).
La liste des anciens élèves célèbres est impressionnante et éclectique :
- Collège Henri le Grand : Descartes, maréchal de Berwick, l'abbé Prévost, le chancelier Séguier.
- Prytanée XVIIIe-XIXe siècle : amiral Dupetit-Thouard, les frères Chappe (inventeurs du télégraphe), général Bourbaki, maréchal Galliéni, l'écrivain Paul Margueritte, le chef communard Louis Rossel
- Prytanée XXe siècle : l'astronaute Patrick Baudry, l'acteur Jean-Claude Brialy, les généraux Catroux et Massu, l'aviateur Gabriel Voisin, l'écrivain Kléber Haedens.
Liste non exhaustive...


La Flèche, vue aérienne du quartier Henri IV


Eglise St Louis

Voici également deux vidéos du Prytanée de La Flèche, dont une (cérémonie de présentation du drapeau) fait beaucoup penser à Sorèze (toutes proportions gardées !) :
https://www.youtube.com/watch?v=dzonEbYMtac

https://www.youtube.com/watch?v=xECTHHn_7xs

Collège Henri IV de La Flèche


Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle)

L'école est supprimée comme les autres à la Révolution, mais elle garde une vocation éducative, puisqu'on y ouvre en 1903 un collège municipal, devenu ensuite lycée sous le nom de Jacques Marquette, l'évangélisateur du Canada. Les très beaux bâtiments ont été partiellement détruits pendant la guerre de 14, puis totalement en 1944. Le lycée a été reconstruit en 1957 selon des critères modernes, mais on a eu l'intelligence de reconstituer à l'identique la cour d'honneur. L'École royale eut pour élève le général Duroc (du Roc de Frion), qui se distingua à Wagram et Essling, et que Napoléon fit grand maréchal du Palais et duc de Frioul. La place principale de Pont-à-Mousson porte son nom.


Pont à Mousson, la cour d'honneur du lycée reconstituée après les bombardements

Ecole Royale Militaire de Pont à Mousson


Pontlevoy (Loir-et-Cher)

L'école militaire est supprimée à la Révolution, mais elle est "démilitarisée" et devient un collège puis lycée catholique, et l'est toujours. C'est l'une des rares anciennes Écoles royales militaires de Louis XVI qui ait gardé une vocation éducative sans interruption. Elle a une très forte réputation. J'ai pour ma part failli y atterrir, mes parents, qui cherchaient un établissement privé d'excellence, hésitaient entre elle, La Pierre-qui-Vire et Sorèze. C'est le reportage de Paris-Match sur Sorèze qui a fait pencher la balance.


Pontlevoy, façade principale du collège

Pontlevoy sur Wikipedia


Rebais (Seine-et-Marne)

Fondée au VIIème siècle par St Ouen sur les terres du roi Dagobert Ier.
La ville devient alors le siège de l'abbaye Saint-Pierre de Resbacum. Au XVIIème siècle, l'abbaye est reconstruite par les mauristes et accueille une école de cadets du Royaume.
Supprimée et démolie à la Révolution. Il ne reste plus que l'église, devenue paroissiale.
Il ne reste qu'une modeste église (St Jean Baptiste) en partie romane qui renferme le gisant de Saint Aile, abbé au VIIème siècle.


Tiron (aujourd'hui Thiron-Gardais, Eure-et-Loir)

Fermée en 1793, rachetée à différentes reprises est depuis 2012 la propriété de Stéphane Bern qui l'a restaurée et a ouvert un musée retraçant l'histoire des lieux et des personnages l'ayant fréquenté.

Collège royal et militaire de Thiron-Gardais


Tournon (Ardèche)

Autre exemple d'école ayant gardé une destination éducative. La section militaire est supprimée à la Révolution, mais l'établissement reste un collège, on dirait aujourd'hui d'enseignement général : collège communal, puis royal à la Restauration, puis lycée, qui porte aujourd'hui le nom de Gabriel Faure, écrivain, poète et diplomate.

L'Histoire générale de Languedoc, de Dom Devic et Dom Vaissète, dit de cette école : « François Ier favorisa aussi l'union du prieuré conventuel de Notre Dame d'Audance dans le diocèse de Vienne, dépendant de l'abbaye de la Chaise-Dieu, au nouveau collège de Tournon sur le Rhône dans le diocèse de Valence.
La fondation de ce collège fut faite en 1536 par Just baron de Tournon, qui y établit un recteur ou principal, non marié, à sa soumission et des barons de Tournon ses successeurs, et trois lecteurs-régens à la nomination du recteur. Ce dernier et deux lecteurs devaient enseigner la rhétorique et la philosophie en grec et en latin, et le troisième lecteur les rudimens et la grammaire.
François, cardinal de Tournon,abbé commendataire de La Chaise-Dieu, et frère de Just, seigneur de Tournon, concourut à cette fondation, conjointement avec Jacques de Tournon évêque de Valence, et Charles de Tournon évêque de Viviers ses neveux, qui possédèrent successivement le prieuré d'Audance, et qui l'unirent au nouveau collège, à condition que quatre jeunes religieux de l'abbaye de la Chaise-Dieu auraient droit, en qualité de boursiers, de faire leurs études dans ce nouveau collège, et d'y être logés et entretenus pendant cinq ans.
François Ier demanda au pape Paul III la confirmation de cette union, ce que ce pontife accorda par une bulle de 27 de février de l'an 1452.
Les professeurs du nouveau collège de Tournon s'étant laissés infecter du venin des nouvelles erreurs, le cardinal de Tournon donna, quelques années après, la direction de ce collège aux Jésuites, qui le possédent, et qui se sont accomodés avec les Bénédictins de la Chaise-Dieu, touchant les quatre places de boursiers dont on vient de parler. Ce fut le premier collège que la société posséda en France; et elle en eut l'obligation au cardinal de Tournon.
Le roi Henri II confirma la fondation du collège de Tournon par des lettres données à Reims le 9 de novembre de l'an 1552. »


Tournon, le lycée Gabriel Fauré

Le lycée Gabriel Faure de Tournon


Vendôme (Loir-et-Cher)

Autre école qui a survécu en tant qu'établissement éducatif, mais après pas mal de vicissitudes. Elle disparait à la Révolution, et ses bâtiments deviennent une caserne de cavalerie en 1802, puis une gendarmerie. En 1847, elle redevient établissement d'éducation avec création d'un lycée, qui porte depuis 1930 le nom du poète Ronsard. En 1982, le lycée est reconstruit dans un autre quartier, et les anciens bâtiments deviennent l'hôtel de ville de Vendôme. L'école militaire eut pour élève le général de Rochambeau, héros de l'intervention française lors de la guerre d'indépendance des États-Unis, et le conventionnel Pétion (né Pétion de Villeneuve), qui vota la mort de Louis XVI, mais "avec sursis" ! Le lycée, lui, eut un potache nommé Honoré Balssa, plus connu sous son pseudonyme d'Honoré de Balzac.


Vendôme, hôtel de ville, ancien lycée Ronsard


Conclusion

Quand on fait l'addition, on compte quand même sept anciennes écoles sur douze qui sont restées des établissements d'éducation, ce qui est exceptionnel compte tenu des aléas tumultueux de notre histoire, et une, La Flèche, qui est restée dans la filiation directe des intentions de Louis XVI. Les vidéos tournées là-bas montrent une parenté évidente avec Sorèze, qui ne peut pas laisser indifférents les anciens Soréziens. Ce tour d'horizon permet aussi de constater que le Père Lacordaire entendait bien, en ressuscitant Sorèze, s'inscrire dans cette lignée historique, en y ajoutant les intentions qui étaient les siennes en matière d'éducation, et qui n'étaient nullement incompatibles avec les vues de Louis XVI, mais complémentaires.

Philippe Houbart (57-61)


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