Le 19 mai 2002
LE MARECHAL DE BOURMONT,
ANCIEN ELEVE DE SOREZE.
Par Gérald de Bourmont,
descendant direct du Maréchal.
(Rédaction effectuée à partir de l'enregistrement de cette conférence)
Avant de commencer, je voudrais dire combien j'ai été frappé par votre attachement à votre collège, à Sorèze.
Je ne savais pas, en venant ici, très précisément dans quel contexte je venais. Et je m'apprêtais donc à vous faire une conférence sur Bourmont à partir des connaissances que j'ai de sa vie. Mais en vous écoutant, en vous regardant, en visitant avec vous ce site, j'ai compris toute l'importance de ces lieux : l'ancien monastère, lieu de prière depuis plus de mille ans, une tradition pédagogique très ancienne et très puissante qui l'avait fait désigner comme une des écoles militaires pour les Cadets dans la deuxième moitié du XVIII° siècle, la présence au XIX° siècle de la grande figure de Lacordaire, dans le droit fil de ces traditions séculaires... Autant de messages chargés de sens qui m'ont fait changer le contenu de cette conférence pour l'adapter au contexte. J'espère que Jean Hugues ne m'en veut pas trop de m'être éclipsé rapidement hier soir : c'était pour préparer cette adaptation, car, comme vous le verrez, j'ai compris que Sorèze avait eu sur l'esprit et la formation de Bourmont une influence visible de nos jours à travers le déroulement de sa vie. Et j'ai pensé intéressant de vous en faire part.
Je voudrais juste mentionner un épisode auquel j'ai été très sensible ce matin. En arrivant, environ une heure avant la messe afin de la préparer, nous avons rencontré l'un d'entre vous qui se reconnaîtra sûrement. Il se promenait dans les rues de Sorèze. Nous le saluons et il nous avoue qu'il est arrivé de bonne heure afin de « se recueillir ». Voilà bien résumé, je crois, la nature de votre attachement à ces lieux : non seulement vous y retrouvez vos camarades de pension comme vous le faîtes aujourd'hui, mais il y a quelque chose de bien plus profond qui est de la nature du « recueillement ». C'est, je vous assure, bien visible pour quelqu'un comme moi qui vous découvre pour la première fois. C'est visible à travers votre comportement. Si cet endroit exerce sur vous une telle influence, n'est ce pas précisément parce qu'il y a matière à « se recueillir » sur tout ce qu'il symbolise ?
Venons en voulez vous au sujet qui motive ma venue ici aujourd'hui.
Je pense tout d'abord utile de vous resituer le cadre dans lequel s'est déroulée la vie du Maréchal de Bourmont.
Bourmont est né en 1773, à la fin de ce XVIII° siècle qui, aux dires d'un Arthur Young qui avait visité de fond en comble notre pays, était un paradis sur terre.
Il est né en 1773 et mort en 1846.
C'est dire qu'il a connu la Révolution, le Directoire, le Consulat, l'Empire, la Restauration, la Monarchie de Juillet.
Prenons quelques repères historiques si vous le voulez bien.
La Révolution débute en 1789, la Convention lors des journées d'août 1792, jusqu'au coup d'Etat du 18 brumaire, c'est à dire novembre 1799. Période de terreurs, période mystérieuse, incompréhensible, à mes yeux, au cours de laquelle un peuple tout entier se livrera à des chefs qui lui feront connaître des débordements, des excès de toutes natures.
Bonaparte, revenant de l'expédition d'Egypte, débarque, avec sa chance coutumière au moment précis où le Directoire va au plus mal. Il avait jugé prudent d'aller rechercher la gloire plutôt sur les champs de bataille que de se compromettre dans la politique. En revenant en France, il comprend que le pouvoir est en déliquescence, il saisit l'opportunité et l'extraordinaire coup d'Etat du 18 brumaire sonne la fin du Directoire.
C'est alors le temps du Consulat.
Puis vient l'Empire en 1804, jusqu'en 1814. La première Restauration, 1814 - 1815, les Cent jours - mars juin 1815 -, la seconde Restauration qui se termine en Juillet 1830, par les Trois Glorieuses, 27, 28, 29 juillet 1830, la Monarchie de Juillet avec Louis Philippe, régime qui durera de 1830 à 1848.
Tel est le cadre de la vie de Bourmont, qui a approché de près tous les acteurs majeurs qui ont écrit ces pages d'Histoire de France.
En effet, du fait de circonstances exceptionnelles, Bourmont est plongé tout jeune au coeur de l'Histoire. Cela lui prépare un destin exceptionnel. Nous allons voir comment.
Dans l'histoire de chacun d'entre nous, il y a ce que nous sommes, ce que nous avons reçu par notre éducation, ce que nous avons reçu de nos parents, ce que nous avons reçu de nos maîtres - Sorèze est un de ces lieux d'éducation que vous avez évoqué avec fidélité et émotion depuis hier, preuve qu'il vous a - oh combien ! marqué - et puis il y a la part du destin -ou de la Providence - qui nous place ici ou là. Lacordaire le dit mieux que personne lorsqu'il évoque par exemple qu'Elle l'a fait déménager 12 fois, et qu'il lui a fallu, chaque fois, rester disponible !
La vie de Bourmont montre qu'il n'a jamais fait ce qu'il voulait. Il était certainement très intelligent comme on va le voir par la suite, mais il s'est trouvé à certains moments dans des situations qui l'ont amené à jouer un rôle.
Mais pour cela, il lui a fallu être disponible !
Venons en à sa vie, si vous le voulez bien.
La famille de Bourmont était une famille noble de la province d'Anjou, qui n'aimait pas trop la « jet set » de l'époque, c'est à dire Versailles. Famille « très bien alliée », selon le langage de l'époque. Un cousinage avec la famille de Condé, par les Maillé de La Tourlandry, faisait que les Bourmont servaient de préférence sous les ordres des Princes de Condé, et étaient en général leurs aides de camp ; et ce depuis 4 générations. Premier signe du destin : Bourmont rejoint les Condés en émigration à Turin, dès 1791... Cela marquera sa destinée dès son plus jeune âge.
Comme beaucoup de familles nobles des XVII° et XVIII° siècles, cette famille produit des militaires qui font la guerre jusqu'à 30 ans environ, reviennent ensuite dans leur province, se marient, puis éduquent leurs enfants tout en gérant leurs patrimoines familiaux. Tout ceci constituant un système de valeurs fortes, avec des engagements forts, tant auprès de leur famille que des populations locales. Système de traditions solides, stables.
Tout naturellement dans ce contexte, Bourmont est envoyé à 14 ou 15 ans faire ses études à Sorèze.
Pourquoi Sorèze ? Je ne le savais pas avant de venir ici... Tout simplement parce que sa grand mère avait un domaine très important aux Antilles, à Saint Domingue. Et si j'en juge par les livres qui ont été écrits sur Sorèze que j'ai eu la chance de trouver ici, et que j'ai étudiés cette nuit, beaucoup de familles portuaires de Nantes et Bordeaux qui avaient des intérêts à Saint Domingue, envoyaient leurs enfants à Sorèze. Il est fort probable que ceci explique cela ! Bourmont est mentionné comme élève à Sorèze, dans les tableaux, en 1787. Je ne sais s'il a connu Henri de La Rochejacquelein, élève à Sorèze à partir de 1786. Le principal biographe de Bourmont, Gustave Gautherot pense que oui. En tous cas, pour les deux hommes, nous pouvons constater la puissance de leur engagement et une même fidélité aux valeurs.
Juste en quittant Sorèze, en 1790, Bourmont est affecté au Régiment des Gardes Françaises, comme enseigne surnuméraire, c'est à dire l'équivalent de Sous - Lieutenant.
Agé de 16 ans, il est déjà au coeur du sujet : le 14 juillet 1789, il assiste à la mutinerie de son Régiment travaillé par les idées nouvelles. Ainsi, tout jeune, il voit les ferments révolutionnaires à l'œuvre et leurs résultats. A la suite de cette mutinerie, Louis XVI dissout le Régiment. Bourmont rentre en Anjou.
Le Prince de Condé avait émigré dès juillet 1789. Vous vous souvenez que les Bourmont étaient traditionnellement aides de camp des Princes de cette famille. Le Prince ayant émigré en 1789 et se trouvant à Turin avait demandé au comte de Bourmont de le rejoindre, ce qu'il fait en emmenant son fils, le futur Maréchal. Quelques mois après, en janvier 1791, il meurt brutalement à Turin. Bourmont se trouve donc à 19 ans, chef de nom et d'armes de sa famille, à la tête d'une importante fortune.
Que fait-il ? Par sens du devoir, il s'engage dans l'Armée des Princes dans laquelle il retrouvera beaucoup des ses camarades du Régiment des Gardes Françaises, émigrés comme lui. Il fait les campagnes de 1792.
A la fin de 1792, la France est en pleine terreur, et le pays est en décomposition politique. L'arbitraire règne partout, jusque dans les contrées les plus reculées et paisibles de France. Sa mère et sa soeur, restées en France sont menacées. Il reçoit l'autorisation du Prince de Condé d'aller les chercher pour les sortir de France. Il les conduit à Bruxelles, et de là il rejoint les Princes aux Pays Bas.
Voici donc ce garçon qui à 19 ans, connaît bien le Prince de Condé, le comte de Provence, futur Louis XVIII, le comte d'Artois, futur Charles X et le duc d'Angoulême. Son intelligence a vite été remarquée par les Princes et leur entourage, et ils ne vont pas tarder à lui confier des responsabilités importantes.
Ainsi, dès 1794, il est envoyé en Vendée, après la grande « Guerre de Vendée » de 1793, soulèvement extraordinaire et tragique qui a fait en un an de mars à décembre 1793, puis lors des représailles du printemps 1794, environ 500.000 morts tant chez les Blancs, royalistes, que chez les Bleus, républicains. Henri de La Rochejacquelein dont je parlais tout à l'heure a participé de façon magistrale à ce soulèvement, puisqu'il en fut le deuxième Généralissime avant d'être tué. Vous vous souvenez qu'il avait été élève de Sorèze à partir de 1786.
Donc, en 1794, Bourmont est émissaire des Princes en Vendée.
La page de la Chouannerie est à écrire, et nous allons voir de quelle façon Bourmont y a participé.
Il fait très vite la conquête des chefs vendéens, qui comprennent que ce jeune officier a de l'énergie doublé d'un vrai sens politique.
Mais je voudrais vous présenter maintenant son caractère.
Il y a quelques années, en 1996, j'ai écrit un ouvrage sur ma famille, et je me suis alors interrogé sur la personnalité de Bourmont. J'ai alors fait appel au Président de l'Association des Graphologues de France, qui s'était spécialisé dans l'analyse des écritures des personnages historiques. C'est ainsi que j'ai pu voir de nombreux manuscrits autographes de Rois de France, de Ministres, de toutes époques, de Bonaparte, de Talleyrand, etc...
Je lui ai donné quelques lettres de Bourmont, s'étalant sur toute sa vie afin qu'il me dise ce qu'il en pensait.
Tout d'abord, indépendamment de toute graphologie, sur un plan strictement physique, nous savons qu'il était de petite taille. On le disait fort bien fait de sa personne (il est dépeint comme étant un fort « joli garçon »). Son écriture le dépeint comme un être très sociable, (extraverti dirait on aujourd'hui), ayant beaucoup d'aisance. Il avait le sens du futur, du possible. Pour lui « ici et maintenant » contenaient aussi en eux un potentiel d'évolution : d'une certaine façon c'est le sens politique, l' « art du possible » dont il s'agit. Une forme de sens stratégique. Troisième caractéristique : doté d'une intelligence très fine, il était en même temps logique et organisé. Aujourd'hui les archives qu'il nous a laissées illustrent ces qualités, de même que le soin extrême qu'il a pris dans la préparation de l'expédition d'Alger. Enfin dernière caractéristique : c'est un homme éminemment adaptable. Toute situation n'est ni bonne, ni mauvaise : elle est telle qu'elle est, la question est d'en tirer le meilleur parti possible fonction de ses objectifs politiques ou stratégiques comme on l'a vu tout à l'heure. Toute sa vie ainsi il a rencontré l'adversité, et s'en est accommodé. Finalement son destin fut plutôt tragique, un destin mêlé de gloire de tragédie. Mais s'il a réussi à traverser avec succès tous ces écueils, c'est bien parce que le personnage était véritablement adaptable, avec des valeurs très bien ancrées, qui lui évitaient probablement de connaître le doute aux moments où il valait mieux ne pas douter.
Voilà qui était ce personnage dans sa structure mentale.
Pour achever son portrait, revenons à 1794, au milieu des chefs vendéens séduits par cet homme possédant des qualités de militaire et de diplomate. Cadoudal disait de lui, à cette époque : « Bourmont est l'homme qu'il nous faut, il n'a pas peur de la mort, il est au fait des deux commerces dont nous avons besoin : la guerre et la politique. Il peut nous rendre d'éclatants services ».
Après avoir combattu les armes à la main auprès de Scépeaux, dans quelques échauffourées, les chefs vendéens le renvoient au printemps 1795 auprès des Princes pour demander à l'un d'entre eux de se mettre à leur tête. Il revient à l'automne porteur d'un message du comte de Provence pour Charrette, va convaincre certains chefs vendéens - dont Stofflet - de reprendre les armes début 1796, et lui même se met à la tête de troupes. Nous retrouvons probablement l'éducation de Sorèze à ce moment là. En effet, il est écrit dans l'un des livres que j'ai lus sur Sorèze que l'entraînement sportif des Cadets était très poussé : entraînement intensif à la nage, dans la piscine qui existe toujours, ce qui était très moderne pour l'époque ; mais également entraînement intensif à l'équitation. Or Bourmont était un remarquable cavalier, très agile, et cette réputation était suffisamment remarquable pour être venue jusqu'à nous. C'est peut être grâce à cette agilité qu'il conçoit à cette époque de petites unités cavalières de harcèlement, très mobiles appelées les « chasseurs de Bourmont », très économes en moyens : leur succès résidait dans la rapidité des coups de main, et une esquive rapide. Ces unités furent très efficaces.
En janvier 1796, il est à nouveau envoyé en mission auprès du comte d'Artois, cette fois. Celui ci réside en Ecosse, au château de Holyrood. Il part avec Frotté. Il se produit à ce moment là un événement symbolique et important : il est fait chevalier de Saint Louis par le comte d'Artois, en même temps que le duc d'Angoulême, créant ainsi une véritable fraternité d'armes entre eux. Or, 34 ans plus tard, Charles X, le duc d'Angoulême et Bourmont seront les trois acteurs principaux lors du processus de désignation du commandant en chef du corps expéditionnaire chargé de la conquête de l'Algérie... Il est vrai qu'entre temps, Bourmont avait donné de nombreux gages de fidélité à la Monarchie légitime.
Le comte d'Artois refuse de prendre la tête des insurgés en France, et Bourmont rentre clandestinement en France en mars 1796. Il se produit alors un événement qui nous ramène à Sorèze... Il débarque de nuit le 16 mars dans les marais de Dol. Ils tombent sur une patrouille républicaine. Plusieurs officiers sont tués, et lui même ne doit d'avoir la vie sauve qu'au fait qu'il savait fort bien nager...
Je m'étais souvent demandé comment Bourmont avait pu maîtriser aussi bien la nage pour se tirer de ce mauvais pas. J'ai trouvé la réponse, ici, à Sorèze... souvenez vous : la piscine... ! Voyez comment on trouve des réponses inattendues quelquefois en matière d'histoire, aux questions que l'on se pose !
Après les combats du printemps 1796, qui voient hélas la mort de Charrette et de Stofflet, Bourmont est exilé par Hoche en Suisse. De là, il est désigné par les Princes pour préparer clandestinement en Normandie les élections de 1797. Toujours entre France et Angleterre, il est un de ceux qui pensent que le Directoire finira dans l'anarchie et qu'une Restauration est possible. Il est désigné par le comte d'Artois comme Commandant en Chef de l'Armée du Maine et du Haut Poitou. Cadoudal commande en Bretagne, Frotté en Normandie. Les troupes sont coordonnées entre elles et L'Agence royaliste de Paris.
Là intervient Bonaparte, toujours « en veine avec la chance » : en octobre 1799, il débarque d'Egypte, et ne tarde pas à comprendre lui aussi le chaos politique dans lequel se trouve la France. Il y mettra fin, à son profit, par l'extraordinaire coup d'Etat du 18 brumaire, qui mettra fin pour longtemps aux projets de Restauration des Royalistes.
Il faut comprendre qu'à cette époque, il y a deux grands courants politiques en France : les forces de la Révolution dont les Français sont fatigués ; puis les forces de l'ancienne France qui cherchent à reprendre le pouvoir. La Chouannerie représente la partie armée de ces forces, et il n'est pas étonnant de voir Bonaparte et les chefs chouans face à face en cette fin d'année 1799. Frotté sera fusillé, assassiné peut on dire en février 1800. Cadoudal sera pris et assassiné lui aussi quelques années plus tard. Bourmont ne doit son salut qu'à la loyauté et l'honnêteté du Général Hédouville qui lui permet de se rendre à Paris auprès de Bonaparte sans tomber dans le même piège que Frotté. Ils se rencontrent le 18 janvier 1800. Bourmont teste Bonaparte pour savoir s'il se prêterait à une Restauration. Bonaparte répond par la négative et se montre même menaçant, après que Bourmont lui ait signifié qu'il ne voulait pas le servir. Il lui dit en effet que s'il entreprenait quelque chose contre lui, il lui donnerait quatre jours pour quitter le territoire, et que s'il s'y trouvait le cinquième, il le ferait fusiller.
Bourmont passe l'année 1800 à pacifier le Maine et l'Anjou, selon le traité de pacification signé en février 1800.
Les relations entre Cadoudal et Bourmont s'étaient tendues : si tous les deux avaient signé la pacification, Cadoudal restait en Bretagne alors que Bourmont s'établissait à Paris. Il s'en est suivi une certaine méfiance entre les deux personnages. Il faut mentionner aussi la présence de Fouché, qui se méfiait du camp royaliste et particulièrement de Bourmont qui rencontrait souvent le Premier Consul, dont il était écouté, ce qui lui conférait de l'influence.
Après l'attentat de la rue Saint Nicaise, attribué immédiatement par Fouché aux royalistes, Bonaparte sur les conseils de Fouché fait arrêter Bourmont. Il est emprisonné au Temple à Paris, puis transféré à la citadelle de Besançon. Il est prisonnier politique, et ses biens sont mis sous séquestre. Bourmont ne comprend pas ce qui lui arrive. Le temps passant, de guerre lasse, il demande à partir aux Etats Unis, pensant vendre tous ses biens en France. Bonaparte refuse. Il veut l'expédier en Inde. Bourmont qui vient d'avoir son deuxième enfant refuse. Et finalement en 1804, il prend le parti de s'évader et de rejoindre le Portugal, via l'Espagne. Il y restera de 1804 à 1809.
Durant ce séjour, nous retrouvons Soréze, vous allez voir comment. Dans une des lettres de la fin de l'année 1804, il demande à sa femme qui va venir le rejoindre en emmenant quelques meubles, de ne pas oublier l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert. Or, vous savez que le système d'enseignement de votre école à la fin du XVIII° siècle s'appuyait très largement sur cette encyclopédie. Il faut noter qu'il s'agissait à l'époque d'une pédagogie très moderne, qui était d'ailleurs fort critiquée par les milieux conservateurs. Cela m'a amusé d'établir ce lien supplémentaire entre Sorèze et Bourmont, en même temps qu'il est intéressant de constater l'intérêt qu'il porte à cet ouvrage 15 ans plus tard. C'est la preuve qu'il avait été marqué par cette éducation ! Il n'y a pas de doute que cet ouvrage a beaucoup contribué à répandre les idées nouvelles qui ont conduit à la convocation des Etats Généraux. Il ne faut pas oublier non plus que toute la France souhaitait une évolution du régime, et que cette évolution souhaitée a malheureusement dérapé vers la révolution que nous connaissons, avec ses nombreux et incompréhensibles excès.
En 1809, il revient en France. Pourquoi ? Junot représentait la France au Portugal à cette époque. En 1807, lors d'une intervention militaire les Français se trouvant en difficulté, Bourmont offre son sabre à Junot qui accepte, et aux côtés duquel il bataille ferme. Junot parle de sa belle conduite à l'Empereur qui autorise le retour des Bourmont en France. Junot transmet et sur cette promesse la famille de Bourmont rentre en France en 1809. Ils débarquent dans la baie de Quiberon mais Bourmont est aussitôt arrêté par la police de Fouché et jeté en prison à Nantes. Il proteste et est assigné à résidence à Vezins, près de Cholet. Il le demeurera pendant un an. Quelle est l'opinion de Napoléon sur Bourmont ? La réponse est contenue dans les Archives de la Guerre à Vincennes, où il est écrit de sa main même « Il faut surtout empêcher Bourmont de venir dans l'Ouest ». Il lui sera donc proposé de servir dans les armées impériales, mais loin de France et sous surveillance : en Italie, auprès du vice roi d'Italie, le prince Eugène. Il y mène une vie plutôt ennuyeuse. Il se déplace néanmoins à son gré, en Italie du sud, et même à Alexandrie où il retrouve des amis français. En 1812, le vice roi lui propose de participer aux campagnes qui s'annoncent, il accepte et c'est ainsi qu'il participera aux campagnes de Russie, d'Allemagne et de France, et deviendra en moins de deux ans, Général de Brigade en 1813, puis Général de Division en 1814. Voilà donc Bourmont devenu un haut dignitaire de l'Empire.
En 1814, lors de la Restauration, il est immédiatement reconnu par Louis XVIII qui lui donne un commandement. Il est nommé - hasard des choses ... - à Besançon. Il y retrouve des gens de la société civile qu'il avait connus 11 ans plus tôt lorsqu'il était prisonnier politique.
Puis vient le débarquement de Napoléon. Bourmont se trouvait placé sous les ordres de Ney, commandant la région de Franche Comté. Ney était chargé de faire barrage à Napoléon, puis il bascule, comme on la sait, dans le camp de l'Empereur, dont il lit la proclamation devant les troupes, à Lons le Saunier.
Bourmont atterré, se rend à Paris à bride abattue pour rencontrer Louis XVIII aux Tuileries, l'avertir du danger, et le supplier de résister.
Louis XVIII décide de partir.
Bourmont se retrouve donc à Paris dans une situation impossible : Fouché est redevenu Ministre de la Police, et a lancé contre lui un mandat d'arrêt. Il ne faut pas oublier toutes les préventions de Bonaparte et Fouché contre Bourmont, toujours jugé dangereux, en particulier à cause de son influence dans les départements de l'Ouest.
Bourmont se cache dans Paris. A ce moment là, son excellent camarade de combat, le Général Gérard, lui propose de servir à nouveau sous ses ordres.
Devant la coalition qui menace la France, Bourmont accepte de prendre le commandement d'une Division.
Puis vient, fin mai 1815, l'épisode de l'Acte Additionnel qui proclamait la déchéance des Bourbons et le rétablissement du système des confiscations des biens dont toutes les familles émigrées avaient tellement soufferts sous la Révolution. Tous les militaires doivent signer cet Acte. Bourmont s'y refuse absolument. Il démissionne, puis n'étant pas remplacé le 15 juin 1815, rejoint le Roi Louis XVIII à Gand.
Au lendemain de Waterloo il comprend que l'Empire est définitivement défait. Il se voit confier le commandement de la Région du Nord, organise remarquablement bien le ralliement de la région au Roi.
Il devient un des dignitaires de la Restauration, est nommé Général commandant une des Divisions de la Garde Royale et va jouer un rôle de conseil important dans l'environnement du pouvoir, tout en étant proche, vous avez compris pourquoi, du comte d'Artois et du duc d'Angoulême, qu'il connaît bien depuis 1796 au moins.
Il est important cependant de noter que Bourmont n'est pas un « ultra » en politique. Il se prononcera par exemple en faveur de la liberté de la presse et en faveur d'une presse royaliste forte plutôt qu'en faveur d'une restriction des libertés. De même, on le verra œuvrer en 1832 pour une France décentralisée et des pouvoirs locaux forts, plutôt que vers un pouvoir central fort et centralisé. On peut se demander si les Ordonnances de 1830 auraient été promulguées s'il avait été présent à Paris : il avait assez de sens politique pour comprendre le côté provocateur de ces Ordonnances et il s'y serait probablement opposé.
Mais reprenons le cours de évènements.
En 1823, Bourmont participe à l'expédition d'Espagne dont le duc d'Angoulême est Général en Chef. Il prend Cadix, remplace le duc d'Angoulême à son départ, est fait pair de France à l'issue de la campagne.
En 1829, il est appelé au Gouvernement de Charles X en tant que Ministre de la Guerre.
Puis il est nommé Général en Chef du Corps Expéditionnaire chargé de conquérir Alger. Il doit cette nomination à sa fidélité constante à la Monarchie depuis les débuts de la Révolution. Le Roi Charles X et le duc d'Angoulême avaient su interpréter le temps passé brillamment sous les armes impériales, entre 1809 et 1814, alors que tout espoir de Restauration était vain.
Ils savent que Bourmont est un fidèle des fidèles, un homme de valeur, et de valeurs au pluriel, un homme d'engagement, un homme sur qui ils peuvent compter.
Ils l'ont reconnu sur le plan politique en le nommant Ministre, et sur le plan militaire en lui confiant l'expédition d'Alger.
Il prépare l'expédition avec un très grand soin. Je vous ai dit tout à l'heure que c'était un homme très organisé. Il s'efforcera de ne rien laisser au hasard. Il aura l'intelligence de s'appuyer sur les nombreux travaux qui avaient déjà été faits sur une éventuelle guerre contre Alger, ce qui lui permettra d'aller vite.
L'embarquement de l'armée a lieu à Toulon en mai 1830.
Les opérations sont brillamment menées. Quatre jours après le débarquement, Alger tombe aux mains des Français.
Bourmont, à cette occasion, montre le fond de sa personnalité : il demande à ses troupes de respecter la religion des habitants et sa proclamation illustre ses soucis à la fois politiques et humanitaires.
Nous retrouvons là probablement les valeurs humaines de Sorèze : on gagne la guerre, mais on respecte son ennemi.
Il est élevé à la dignité de Maréchal de France le 14 juillet 1830.
La Révolution de 1830 intervient les 27, 28 et 29 juillet.
Il est remplacé au début du mois d'août par le Général Clauzel, futur Maréchal.
Bourmont refuse de reconnaître le nouveau pouvoir, et fait affréter un bateau à ses frais.
Il emporte une précieuse cassette contenant le coeur de son fils Amédée, tué lors de la conquête, et Clauzel, en homme d'honneur, fait tirer 21 coups de canon pour saluer le vainqueur d'Alger.
Bourmont est décidé à rejoindre Charles X, ne comprenant pas comment le pouvoir a pu être perdu aussi rapidement et aussi maladroitement. Il est persuadé qu'il y a moyen de le reconquérir.
Il rejoint donc le Roi à Holyrood, en Ecosse.
Il participe à la préparation d'un nouvelle constitution avec des spécialistes du droit constitutionnel, et prépare un soulèvement général de la France monarchiste.
La nouvelle constitution qui aurait été celle d'une Nouvelle Régence avec Marie Caroline régente au nom du comte de Chambord, futur Henri V, était basée sur des élections communales, élisant des représentants régionaux, élisant eux mêmes des représentants nationaux. L'esprit en était très décentralisateur.
Bourmont était, on l'a vu un fervent partisan de la décentralisation : il avait connu les excès de la Révolution et l'arrivée de Bonaparte. Il savait ce que centralisation voulait dire.
Pendant deux ans et demi, il prépare activement le soulèvement.
Celui ci eut lieu malheureusement trop tard. Pour de multiples raisons tenant essentiellement à l'entourage de Charles X, il fut remis de mois en mois, avec chaque fois des chances de succès qui allaient en diminuant.
La duchesse de Berry débarqua en France en avril 1832, essaya de soulever le midi, puis vint en Vendée. Quelques combats glorieux, mais sans lendemain.
Bourmont part alors pour l'Italie, clandestinement. Il est accueilli dans les Etats Pontificaux. Le Pape lui prête la villa Lante, près de Viterbe. Il vend ses biens en France, achète le domaine Farnèse avec le château de Caprarola, immense (il compte pas moins de 360 pièces) mais totalement délabré et inhabitable.
Si vous avez le temps un jour, je vous invite à aller voir ces deux monuments. La villa Lante comporte des jardins uniques en leur genre, et Caprarola a été restauré de façon magnifique par l'Etat italien.
En 1841, Bourmont peut revenir en France, à la faveur de l'amnistie.
Sur 73 ans de son existence, Bourmont a passé 23 ans en exil, 6 en prison politique, 7 ans de campagne militaire la plupart du temps hors de France, et seulement 37 années dans son pays, dont 16 dans son enfance...
Cette vie, vous le voyez, est construite sur les valeurs, sur les convictions, sur le dévouement à une cause, « sa » cause. Cette cause était - elle celle de la famille des « Bourbons » ? Oui si les Bourbons représentaient à ses yeux le système monarchique, et les valeurs qui y étaient alors attachées, qu'il a toujours défendues.
A bien des moments de sa vie, cependant, il sert son pays bien plus qu'un parti, bien plus qu'une famille fut-elle royale, à travers des convictions personnelles fortes.
Il y a de la gloire dans cette vie et un « destin »...
Il y a quelque chose de tragique dans cette gloire et ce destin, à l'image de cette époque extraordinaire qu'a été la Révolution française dans son ensemble.
J'ai essayé de vous faire revivre la personnalité attachante de Bourmont, qui a son buste ici, dans la salle des Illustres, et j'ai essayé de le faire dans l'esprit de Sorèze.
Je vous remercie de votre attention. »
Gérald de Bourmont
« POST SCRIPTUM » !
Le 26 juillet 2002.
Au moment d'envoyer le texte de ma conférence, afin qu'il paraisse sur votre site, j'ai plaisir à ajouter un « post scriptum » aux « verba » prononcées le 19 mai.
En effet, à l'issue de cet exposé, j'ai eu la très heureuse surprise d'avoir été « fait » Sorézien d'honneur par le Président, et « adoubé » par le général Seignez.
Je voudrais dire au Président, à Pierre-Jean Seignez, et à tous les Soréziens, combien j'ai été sensible à cette attention , et combien je le demeure encore aujourd'hui.
Après la remise du célèbre calot, Jean Hugues Vasen a bien voulu me dire qu'il percevait que j'avais bien compris l' « esprit » de Sorèze durant ces deux jours au milieu de vous...
J'accepte volontiers son sympathique « compliment », mais je dois vous dire que je n'ai pas eu trop de mal : il n'y avait qu'à vous regarder et vous écouter pour comprendre.
Il est vrai que l'ombre du Maréchal m'a aidé à fixer particulièrement l'attention que je portais aux lieux, aux bâtiments, aux cours, aux salles, au parc, comme aux ambiances qu'ils dégagent.
Il est vrai aussi que la grande figure de Lacordaire m'a semblé présente, vivante, puissante, et qu'elle ne cesse d'impressionner.
Mais comme je vous l'ai dit en introduction de ma conférence, au delà de ces grandes figures et de tant d'autres qui font la richesse de cette superbe école, Sorèze a la chance de vous avoir comme témoins vivants de traditions dont certaines remontent à plusieurs siècles. Un seul exemple suffit : qui ne serait pas sensible à la façon dont vous racontez la remise des prix, dans la salle des Illustres, une des grandes traditions soréziennes ?
Tous les grands bâtiments n'ont pas cette chance... Souvenez vous, j'évoquais devant vous au début de ma conférence, Cluny, abbaye si majestueuse, Royaumont ensemble architectural impressionnant... Ces grands sites, de même nature que Sorèze, et bien d'autres en France, n'ont pas cette chance d'avoir une mémoire vivante et collective comme vous.
Voilà tout ce qui m'a attaché à vous, outre les liens familiaux que j'ai été vraiment heureux de renouer grâce à vous.
A mon tour de vous remercier.
Soréziennement vôtre !
Gérald de Bourmont
29 juillet 2002
... aux pages de la Pentecôte 2002